Interview d'Eiji Aonuma, producteur et réalisateur de The Legend of Zelda
Producteur et directeur du développement de tous les épisodes de The Legend of Zelda depuis la Nintendo 64, Eiji Aonuma nous a fait l'immense honneur de nous accorder une interview dans le cadre de la sortie de The Legend of Zelda : Spirit Tracks sur Nintendo DS. L'occasion de revenir avec lui sur sa carrière, les nouveautés de cet opus et le futur de la série.
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Eiji Aonuma : Je suis entré chez Nintendo il y a une vingtaine d’années, il y a 22 ans exactement, en tant que designer. Comme j’aimais beaucoup Zelda, au bout d’une dizaine d’années, après avoir eu l’occasion de travailler sur un jeu particulier (Marvelous sur Super Nintendo), j’ai demandé à monsieur Miyamoto si c’était possible d’intégrer l’équipe des Zelda. Depuis Ocarina of Time sur Nintendo 64, je travaille en tant que producteur sur tous les Zelda, cela fait douze ans maintenant.
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E. Aonuma : L’idée du train nous est venue tout de suite : on voulait reprendre l’idée d’une aventure centrée sur l’exploration, comme l’était le précédent jeu sur DS où l’on parcourait la mer en bateau pour trouver différentes îles, mais cette fois-ci sur terre. On voulait proposer aux joueurs un terrain gigantesque avec différentes villes à explorer et donc l’idée du train nous est venue tout de suite puisque cela permettait d’avoir un moyen de transport suffisamment rapide pour explorer ce monde.
Alors bien sur, comme le train est sur des rails, on peut se dire que ça ne sera pas très intéressant mais étant donné que les rails font parti intégrante de l’histoire, puisque ceux-ci ont disparu et que Link doit les retrouver, il va falloir fouiller beaucoup d’endroits pour pouvoir explorer le monde avec le train !
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E. Aonuma : Si nous avons fait de Zelda un personnage à part entière dans cette nouvelle aventure, et effectivement, c’est la première fois, c’est principalement pour deux raisons. La première, c’est qu’on s’est dit que, pour faire quelque chose de différent dans ce Zelda, on pourrait essayer de mieux connaître la personnalité de la princesse, qui est un des personnages les plus importants de la saga et, en en faisant un partenaire des Link, cela permettrait de la mettre en lumière.
La deuxième raison, c’est tout simplement pour offrir un nouveau système de jeu, c'est-à-dire avec les Spectres en armures. On voulait que Zelda accompagne Link dans son aventure et qu’elle prenne possession des armures vides, qui est au cœur du gameplay, ce qui permettait ensuite au joueur de pouvoir diriger les Spectre dans le jeu.
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E. Aonuma : Effectivement, bien que l’exploration soit le principe même de la série je pense, nous avons voulu cette fois différencier les deux donjons, c'est-à-dire que l’on voulait un donjon central à la jouabilité spéciale, avec une grande importance de l’aide de Zelda, et dans le même temps des donjons plus classiques, qui restent très appréciés et très intéressants pour de nombreux joueurs.
Ce qui fait qu’il y a donc véritablement deux parties distinctes, auxquelles s’ajoutent les séquences en train qui offrent quelque chose de très différent, avec de nombreux aiguillages et voies à emprunter possibles pour éviter un coté monotone aux allers-retours. Il y a différentes routes possibles, des ennemis à esquiver et une conduite vraiment amusante qui font du train une partie du jeu à part entière.
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E. Aonuma : Dans un premier temps, à savoir pourquoi Spirit Tracks ressemble beaucoup à Phantom Hourglass (et Wind Waker), c’est que nous souhaitions garder les meilleures idées que nous avions eu pour celui-ci et les réutiliser d’une manière différente. Même si Spirit Tracks peut avoir l’air semblable à Phantom Hourglass mais quand vous y jouerez, vous verrez que les énigmes sont un peu différentes.
Maintenant d’un point de vue graphique, si nous avons utilisé ce style cartoon sur DS, c’est principalement pour des raisons de lisibilité : en effet, comme l’écran de la console est limité en taille, pour représenter le jeu de manière efficace, il faut déformer les objets car on ne peut pas les représenter à l’échelle sans créer de problème de game design.
Si on avait voulu des graphismes réalistes par exemple, le jeu aurait été illisible : en ville, il aurait soit fallu éloigner la caméra, comme le jeu est vu du dessus, pour afficher les bâtiments à l’échelle et Link aurait été minuscule, ce qui aurait rendu le jeu injouable, soit centrer la caméra sur Link mais alors les bâtiments auraient été trop grands à l’écran et le joueur n’aurait pu voir où il devait se rendre.
C’est pourquoi, on a choisir d’utiliser le style toon shaded qui donne un aspect manga au jeu et qui permet déformer les objets sans que ça soit choquant visuellement, avec des maisons qui font la taille de Link grâce au graphisme fantaisiste. Cela permet d’avoir des villages remplis de petites maisons où on peut circuler facilement.
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E. Aonuma : Par rapport à Phantom Hourglass, lui aussi sur DS, nous avons principalement cherché à mieux exploiter le micro qui l’était très peu dans le précédent volet. C’est comme ça qu’on a eu l’idée d’utiliser le micro pour jouer d’un instrument comme la flute de paon et de s’en servir comme d’un élément utile et original dans le jeu.
Il y a quelques autres objets qui utilisent le micro dans le jeu pour surprendre le joueur car nous voulions apporter suffisamment de nouveauté pour que, même s’il connaît bien la série, il soit quand même surpris.
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E. Aonuma : Si je devais choisir deux objets, le premier ce serait le Whirlwind, un objet qui permet de faire du vent et qui servira dans de nombreuses circonstances, par exemple pour dissiper de la fumée qui gène la vue ou pour faire tomber un objet en hauteur. C’est vraiment l’objet que vous utiliserez le plus souvent dans ce jeu.
Ensuite, il y a le boomerang, que vous aviez déjà vu dans Phantom Hourglass. Je tiens à vous dire qu’il sera utilisé d’une façon totalement inédite et que cela devrait vous faire plaisir !
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E.Aonuma : Effectivement, Twilight Princess était extrêmement sombre. C’était le choix de faire un jeu qui soit plus adulte, plus réaliste, assez sérieux dans le scénario : les ténèbres dévoraient le monde, Link était plus âgé, il devenait adulte, et donc nous n’avions pas voulu mettre de l’humour dans cet épisode pour parvenir à quelque chose de différent de Wind Waker. On a vraiment cherché à faire un Zelda plus dramatique mais ça n’entre pas forcément en conflit avec le reste de la série.
Alors pourquoi celui-ci est plus drôle ? Personnellement, je préfère cette ambiance, à choisir, je préfère faire un Zelda qui comporte des gags un peu partout, et, d’une manière générale, la série a dans l’ensemble un ton léger, et Twilight Princess était une exception où on a voulu explorer un autre univers. C’est un peu l’idée même qu’on a de Zelda, d’essayer de faire quelque chose de différent pour chaque épisode.
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E.Aonuma : L’épisode le plus marquant du développement de ce jeu concerne le gameplay des séquences de voyage en train, qui a mis un an à être complètement fixé. A la base, les déplacements ne devaient pas avoir lieu comme ils le font maintenant, et pendant un an on s’est demandé tous les jours comment on allait faire.
Comme le développement du jeu a pris à peine plus d’un an, jusqu’à la fin nous sommes restés dans le flou pour ce qui était du train, surtout que tout le reste du jeu était prêt ! Nous n’arrivions pas à obtenir quelque chose qui nous paraissait bon.
C’est seulement à la fin, quand nous sommes arrivés au système présent dans le jeu final, que nous avons montré une séquence en train à M.Miyamoto : nous n’avions pas osé lui montrer ce qu’on avait fait avant car cela ne fonctionnait vraiment pas. A la fin donc, il y a joué quelques minutes et à simplement dit : ok, ça me va ! On a insisté, en lui demandant de jouer un peu plus longtemps pour être sur que ça lui convienne et il a simplement répondu que tout était bon pour lui et que ça lui plaisait comme ça !
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E.Aonuma : A Link to the Past m’a beaucoup marqué à sa sortie : c’était le premier jeu à m’avoir fait ressentir les possibilités qu’offrait la création d’un jeu vidéo, la possibilité de proposer un monde hyper vaste à explorer où on pouvait se promener, effectuer des quêtes… ça m’avait beaucoup impressionné ! C’est à cette occasion, après avoir vu ce jeu, que j’ai voulu, et pu, rejoindre l’équipe Zelda après avoir travaillé sur Marvelous, sorti uniquement au Japon, pour Nintendo.
Alors effectivement, j’aimerais pouvoir un jour rendre hommage à Link to the Past mais le problème, c’est que je n’ai pas vraiment envie de faire un simple remake du jeu en 3D, ça serait trop simple et pas très intéressant, mais à chaque fois que je fais un Zelda en 3D, j’essaie de l’avoir en tête et de faire aussi bien.
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E.Aonuma : Concernant Zelda Wii, effectivement, il avance plutôt bien, cela fait un moment que nous travaillons dessus. J’ai la charge de deux équipes à la fois : celle de Zelda Wii et celles des épisodes DS.
L’équipe Wii avance très bien et comme l’a expliqué monsieur Miyamoto, le jeu sera compatible avec le Wii Motion Plus ce qui fait que, quand on bouge la Wiimote, Link fait exactement les mêmes mouvements avec son épée. Le système est vraiment très précis et très réaliste, et je pense que beaucoup de joueurs vont être étonnés et vont se dire « c’est incroyable, pourquoi n’y ont-ils pas pensé avant ? ». Nous avons d’ores et déjà prévu de nombreuses utilisations très précises du Wii Motion Plus dans le jeu.
Concernant un prochain Zelda DS, comme nous venons de terminer Spirit Tracks, pour le moment, rien n’est décidé. Comme je suis pour le moment en déplacements pour la promotion du jeu et les interviews, nous n’avons pas encore eu le temps d’y réfléchir sérieusement mais dès mon retour au Japon, j’ai prévu de rencontrer les équipes et de discuter avec eux du prochain épisode et entendre leurs propositions pour un prochain projet, pas forcément un Zelda d’ailleurs.
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E.Aonuma : Le jeu que j’apprécie le plus en ce moment, c’est Professeur Layton. Je trouve que le concept de réflexion et d’énigmes est très intéressant, très différent de Zelda aussi (rire). Mais je pense que Level-5 a eu la même approche que nous pour la création de l’univers et des énigmes, et on retrouve le même plaisir de jeu à trouver des solutions. Je trouve que c’est un jeu qui est vraiment très brillamment fait parce que c’est un style qui plaît à de nombreux genres de joueurs et c’est vraiment une grande leçon de game design.
TGA : Merci beaucoup, Eiji Aonuma, de nous avoir accordé cette interview !